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Sylvia Elharar-Lemberg a entrepris de mettre le livre en espace, en corps, en peinture. Peindre le livre, ou plutôt peindre à la lettre l'espace où le livre survit son lieu d'être. Sa place vivante, active, visible, parlante plus que lisible. De quoi témoigner qu'elle est en proie au livre et conjurer, cependant, les empreintes prédatrices ou fétichistes.

Le livre, n'en doutons pas, est celui de la parole divine, de ces traces inspirées vouées à se transmettre, ou à transmettre l'origine. Est-ce pour cela que chez cette artiste, le texte s'est enroulé jusqu'à cette boule -cosmique ou foetale - en tous cas primitive, gestation du livre dans le corps de cette femme qui prendrait ainsi sa revanche contre la tradition qui écarta les femmes de l'étude sacrée. Caresser le fantasme - si maternel -d'être source du texte, ce qui remonte aux plus antiques déesses contre lesquelles ce texte s'est écrit ? Ou, peut être, plus simplement, désir de mêler le texte à du corps pour sublimer celui-ci et incarner celui-là !..
Engendrer le livre, ou plutôt le révéler engendré, à la lettre, dans I'empoignade de l'humain avec la matière du monde, corps à corps dont les noms veulent garder la mémoire.

Le Livre les a affiliées au Nom à quatre lettres où se nouent l'être et le temps...

Autre point de convergence entre le livre et le tableau. Le tableau est une table érigée, un cadrage fait sur la terre et que l'on dresse pour y laisser des traces d'autre chose que soi ou de la terre d'où l'on vient, des traces de son rapport à l'être. Et le livre est aussi une table - pas toujours celle de la loi - ou un parquet de tablettes fines, de cette boiserie subtile qu'on nomme papier, sur quoi l'on tente aussi quelques inscriptions, histoire de lier son destin, ou de lui donner lieu...

Or qu'est-ce que I'art, sinon une tentative - poignante, désespérée, jubilante, inspirée, essoufflée - de se donner lieu d'être ? de ménager des rencontres fécondes avec un fragment de "Lieu" qui vous tiennent lieu d'être ? qui soient assez "travaillés" pour ça, pour être un lieu de branchement sur I'incandescence de l'être, sur sa présence dans tout ce qui est de son dépassement de tout ce qui est ?

L'art contemporain fait tout ce qu'il peut pour convoquer ce don du Lieu, ce donner-lieu, au rythme de notre temps. Il cherche des fragments de Lieu qui puissent nous donner, nous restituer notre temps perdu ou notre mémoire en perdition; des fragments qui soient des marquages vivants d'une mémoire qui se donne.

Tout art authentique est contemporain de son époque.

Il se trouve que dans la langue du Livre de l'être (c'est ainsi que j'appelle l'Ancien Testament) ce "travail" du lieu et de la parole est à la fois celui de l'offrande, du sacrifice, (c'est-à-dire d'une certaine fréquentation du sacré ou plutôt des lieux singuliers qui s'exposent à une parole inspirée, à un souffle créatif) ; mais c'est aussi le simple travail d'oeuvrer "quelque chose", où l'on puisse faire acte d'être, et acte de désir ; désir de transmettre et de trans-faire, c'est-à-dire d'être au-delà de ce que l'on fait. Cela exclut donc que le "corps", - celui de I'oeuvre ou de I'artiste - prétende être à lui tout seul le réceptacle de l'être, ou le recueil du manque-à-être originel.

C'est dire que l'oeuvre réussie est marquée de ce manque-à-être qu'elle transmet, et en cela même elle témoigne de ce en quoi elle est "manquée", inachevée, béante sur I'infini ; qu'il soit d'être ou de néant.

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